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Dans l’épisode 3 de cette petite série nous évoquerons les questions posées par la relative facilité avec laquelle le professionnel-doctorant obtient et mène des entretiens.
L’administration d’entretiens, démarche que l’on retrouve largement dans la recherche sociologique, génère un certain nombre de difficultés scientifiques mais aussi pratiques.
Avant toute programmation d’entretiens il est bien évidemment nécessaire de réaliser un important travail préparatoire pour consolider ses hypothèses puis rédiger un guide d’entretien les prenant en compte. Après l’entretien, se poseront des questions de respect des transcriptions, d’analyse de discours, éventuellement d’identification de variables quantitatives à mobiliser pour construire un dispositif explicatif.
Ce schéma de travail est finalement assez classique et n’est pas a priori différent selon la position du professionnel-doctorant. Mais l’exercice peut toutefois poser des difficultés spécifiquement liées à la situation du chercheur.
Nous proposons ici d’évoquer deux étapes de l’administration d’entretiens durant lesquelles la double position du professionnel-doctorant est susceptible de générer des biais ou des erreurs analytiques. En effet tout entretien commence par l’obtention d’un rendez-vous assez long pour permettre un échange de qualité : à ce titre le professionnel-doctorant dispose d’un avantage évident qu’il convient d’interroger. Dans la passation des entretiens, la position symbolique de pouvoir du professionnel n’est pas annulée et peut orienter les réponses des enquêtées aux questions du doctorant.
Concernant la programmation des entretiens :
Une des premières et habituelles difficultés que les sociologues expérimentent dans l’administration des entretiens consiste tout d’abord à les obtenir[1]. Les enquêtés ont souvent peu de temps, se méfient de la démarche, plus simplement ne répondent pas aux sollicitations.
Pour le professionnel-doctorant cette difficulté n’en est pas une : le professionnel a la capacité à mobiliser ses propres réseaux au profit de la recherche du doctorant. Les entretiens pourront dans ce cas être programmés sans trop de difficultés. Mais cette simplicité d’organisation pose des problématiques méthodologiques spécifiques : ainsi, comment le doctorant constituera-t-il son panel : accointances personnelles, sollicitation d’autres « experts », méthode « boule de neige » ? Pour le professionnel, toutes ces techniques font sens puisqu’il s’agit très souvent de constituer en un minimum de temps une équipe projet aguerrie, dans laquelle chacun des membres pourra s’entendre avec les autres. Les mécanismes de réseau professionnel fonctionnent alors à plein et permettent d’aller vite avec des personnes de confiance.
Mais dans une démarche de recherche, cette approche n’est pas acceptable car peu représentative : il s’agit bien de constituer une base d’enquêtés comprenant sinon l’ensemble du moins un nombre représentatif des acteurs du champ considéré, quelque soient les compétences relationnelles supposées des enquêtés.
Ainsi, sans mise en questionnement des conditions de constitution de son réseau professionnel, le professionnel-doctorant pourrait n’envisager le champ qu’à travers ses amitiés successives.
Au sujet des statuts respectifs de l’enquêté et du chercheur
D’autres problématiques méthodologiques se posent au professionnel-doctorant qui mobilise son réseau professionnel : en effet, quelles raisons poussent les enquêtés à accepter l’entretien demandé : sympathie personnelle, respect d’une position de pouvoir, confusion sur le cadre de la demande (travail ou recherche) ?
L’enquêté répond-il avec bienveillance à une recherche ou bien souhaite-t-il se faire bien voir par un possible chef de projet ou un éventuel financeur de projets à venir ?
Si le doctorant peut et doit revendiquer une approche neutre, y compris dans la formulation des questions, le professionnel sera sans cesse confronté à des références de projets passés et à venir réalisés avec l’enquête ou pas. Ainsi s’instaure une forme de connivence, intellectuelle et professionnelle, susceptible de biaiser la qualité de l’entretien et in fine l’analyse discursive par le doctorant.
L’enjeu ici est de prendre conscience de ce possible biais et d’initier une démarche analytique pour se prémunir d’une mauvaise compréhension des situations.
[1] Voir par exemple Chamboredon Hélène, Pavis Fabienne, Surdez Muriel, Willemez Laurent. S'imposer aux imposants. A propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et l'usage de l'entretien. In: Genèses, 16, 1994. Territoires urbains contestés. pp. 114-132. Disponible sur https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1994_num_16_1_1251