Un instrument allemand à l'Université de Strasbourg ?
L’une des premières choses que nous avons découvertes en étudiant le photomètre à coin, c’est son lieu de fabrication : l’usine Töpfer à Postdam, ville ayant fait partie de l’Empire allemand. Cela pousse alors à interrogation : pourquoi retrouve-t-on des instruments d’origine allemande dans les réserves de l’Université de Strasbourg ? Comment ce photomètre est-il arrivé là ?
Pour comprendre l’origine de ce patrimoine germanique, il faut se pencher sur l’histoire de l’Alsace, et de l’Université de Strasbourg en particulier.
En 1870, la France perd la bataille de Sedan, et par là-même la guerre qui l’opposait à l’Allemagne. Cette défaite marque la fin du Second Empire et l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand nouvellement créé.
Guillaume Ier, le nouvel empereur, et son chancelier Otto von Bismarck, souhaitent marquer cette appartenance en désignant Strasbourg comme capitale du Reichsland qu’est devenu l’Alsace-Lorraine, et en faisant de cette ville le symbole du prestige du tout jeune Empire.
Dans ce but, ils décident dès 1872 de faire édifier une université à Strasbourg. Le souhait de l’Empire est de créer « une université de première importance qui soit un lieu digne de l’esprit allemand », selon Franz Von Roggenbach, membre du Reichstag et en charge du projet. Le Reich espère ainsi gagner le cœur des Alsaciens, démontrer le génie allemand et attirer des élites.
Franz von Roggenbach (1825-1907),
l'artisan de la Kaiser-Wilhelms-Universität (Wikipedia)
L’Empereur ne lésine pas sur les moyens : la Kaiser-Wilhelms-Universität reçoit du Reich une dotation annuelle de 400 000 Marks, et Roggenbach recrute 66 professeurs allemands, choisissant prioritairement des savants jeunes et prometteurs, dans le but de créer un centre de recherche ultra-moderne et dynamique.
Visite de l’Empereur Guillaume Ier lors de l’inauguration du Palais Universitaire (1884)
Roggenbach se concentre particulièrement sur les Luxuswissenschaften, les sciences considérées comme un luxe : l’égyptologie, le sanscrit et l’astrophysique. Pour faire de Strasbourg un lieu à la pointe dans ce dernier domaine, le Reich n’hésite pas à faire appel à tout le savoir-faire allemand : du matériel neuf est commandé à des manufactures germaniques, et notamment des instruments de dernière technologie. Parmi eux, un photomètre à coin, instrument nouveau permettant de déterminer la composition des étoiles.
Le photomètre à coin de Töpfer
Ainsi, l’Université de Strasbourg se retrouve dotée d’une riche collection d’instruments en provenance de l’Empire. Les Allemands améliorent également la gestion du matériel, et dressent un inventaire complet et rigoureux des appareils disponibles à l’Université. Ces objets tout comme leur inventaire ont été préservés, et ce malgré une histoire mouvementée dont deux guerres mondiales : une chance pour pouvoir documenter le patrimoine.
L’Université est un franc succès sur le plan scientifique. La Kaiser-Wilhelms-Universität reste considérée comme la plus moderne et innovante d’Allemagne du XIXe siècle, produisant plusieurs prix Nobel et laissant à l’Alsace un solide héritage scientifique, dont on conserve encore les traces écrites dans les différents instituts, ainsi qu’un patrimoine architectural riche, encore valorisé aujourd’hui, et de nombreux instruments maintenant préservés dans des musées.
Plus de détails sur la construction de l’Université : https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1994_num_62_1_1790
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