Billet

Présentation, enjeux et protocole de recherche du projet IdEx Tiques

Publié le
26 janvier 2022
par Aude Dziebowski
Mis à jour le
30 août 2022
Sociologie et santé publique
Les tiques in situ

Contexte et porteurs du projet :  

Le projet IdEx "Impacts des modifications socio-écologiques sur les maladies à tiques et leurs représentations professionnelles et sociales" est un projet interdisciplinaire de sciences participatives, lauréat de l’appel à projets Initiatives d’Excellence (IdEx) Université & Cité de 2021.  

Pour une durée de 16 mois (d'octobre 2021 à janvier 2023), il sera porté par deux unités de recherche de l'Université de Strasbourg :  

...une collaboration étroite enrichie de nombreux partenariats non-académiques mobilisés autour d"un terrain exemplaire en sciences participatives, dans le cadre facilitateur du projet CNRS "Zone Atelier rurale en Argonne" (ZARG - Université de Reims Champagne-Ardenne).

 Pour plus d'informations, nous vous conseillons de jeter un oeil à nos billets : 

Description détaillée du projet  :

1) Intention et enjeux du projet :

Les modifications des socio-écosystèmes depuis la seconde moitié du XXème siècle sont régulièrement pointées comme responsables d’un fort accroissement du nombre et de l’incidence des maladies dites « à tiques » en Europe, des zoonoses dont les agents infectieux circulent naturellement entre les populations animales et humaines. Plus que jamais, l’actualité sanitaire – y compris autour de la Covid-19 – souligne l’importance d’une meilleure compréhension des facteurs qui contribuent à l’émergence de ces zoonoses, dont on mesure l’impact qu’elles peuvent engendrer sur la société.

En l’espèce, les tiques du genre Ixodes transmettent l’agent infectieux de la maladie de Lyme à plus de 300 espèces animales (rongeurs, oiseaux, cervidés…), qui assurent son maintien dans l’environnement, et dont l’humain est un hôte accidentel. La tique Ixodes évolue dans un écosystème majoritairement forestier avec une hygrométrie élevée (80%). Elle se nourrit uniquement de sang pendant sa phase parasite et vit dans l’humus et la litière de feuilles pendant sa phase libre. Les changements de pratiques sylvicoles, agricoles, cynégétiques et de loisirs, ainsi que l’accroissement de densité des populations de chevreuils et de sangliers, semblent actuellement associés à une augmentation des pathologies transmises par les tiques. La plus connue de ces pathologies est la borréliose de Lyme, première maladie à transmission vectorielle de l’Hémisphère Nord. En France, on recense pas moins de 60 000 cas par an, l’Est de la France et la région Centre étant particulièrement impactés. Il s'agit d'une maladie multisystémique qui peut toucher le système nerveux, le cœur, la peau ou les articulations lors de sa phase disséminée. De diagnostic uniquement clinique lors de sa phase précoce, le diagnostic de la phase disséminée pose plus de problèmes. La mise en place tardive d’un traitement antibiotique efficace peut en effet laisser des séquelles inflammatoires invalidantes chez certains patients. La prévention de cette zoonose à fort impact sanitaire et social nécessite par conséquent de mieux comprendre les pratiques humaines passées et présentes qui ont conduit à son expansion ainsi que les processus à l’œuvre et leurs interconnexions. Enfin, la tique Ixodes peut transmettre d’autres agents infectieux dont certains sont considérés comme responsables de pathologies émergentes (anaplasmose, encéphalite à tique, babésioses).

À cet effet, une démarche élaborée de sciences participatives mobilisant la société civile, l’interdisciplinarité et le besoin social de médiation scientifique apparaît spécialement adaptée. L’analyse pluri- et interdisciplinaire de l’évolution du paysage, des populations hôtes animales et des pratiques humaines en lien avec la circulation de l’agent infectieux responsable de la borréliose de Lyme dans une zone particulièrement endémique du Grand Est permettra d’identifier plus finement les causes d’émergence des maladies à tiques et les conséquences de ces émergences sur les populations humaines concernées.

L’Argonne, vaste massif forestier à forte diversité paysagère qui s’étend sur les départements de la Marne, de la Meuse et des Ardennes, est identifiée comme territoire d’étude. La société civile de cette région rurale, fédérée par l’association Argonne – Pôle Naturel Régional (Argonne PNR), soutenue par les collectivités territoriales et la Région Grand Est, a retenu l’étude des tiques et maladies à tiques comme chantier pour le territoire. Le présent projet répond à cette attente et constitue surtout – sans s’enfermer dans une étude de cas per se – une étude pilote sur les causes de distribution des maladies à tiques dans le temps et dans l’espace. En effet, notre démarche repose sur les sciences participatives et implique une grande diversité d’acteurs, provenant aussi bien de la recherche en biologie, écologie et géographie que des sciences humaines et sociales, de gestionnaires, d’associations, de groupes professionnels et de représentants de la société civile. Elle a pour ambition d’être étendue à d’autres territoires, à plus long terme, notamment dans le cadre du groupe de travail Santé-Environnement du Réseau national des Zones Ateliers (RZA) du CNRS. 

2) Originalité de l'approche et pertinence de la méthodologie proposée :

 Nous l'avons évoqué supra : ce projet de sciences participatives s’inscrit dans le cadre de la Zone Atelier rurale en Argonne (ZARG). Il est co-construit avec les acteurs de terrain, parmi lesquels les chasseurs, forestiers, associations naturalistes, agriculteurs, propriétaires fonciers, collectivités territoriales, organismes de lutte et prévention contre les zoonoses et professionnels de santé, qui sont partenaires à part entière. Des échanges interactifs avec et entre ces différentes groupes d’acteurs seront conduits afin d’identifier les pratiques humaines et sociales qui ont favorisé l’accroissement des populations de tiques dans l’environnement, suivant une approche participative et de médiation scientifique.

3) Territoires d'étude :

 Dans le territoire argonnais, le projet bénéficie du cadre facilitateur du projet de ZARG pour étudier les cinq sites suivants : le Domaine de Belval, la forêt domaniale de Signy-L'Abbaye, le Bois de la Gruerie (et les proches communes de Montfaucon-d'Argonne et Varennes-en-Argonne), les Étangs de Belval et le Marais de Germont. L’intérêt de ce choix est d’abord que, pour ces différents sites, nous avons à disposition des données historiques sur les pratiques humaines en termes de chasse, de sylviculture et d’agriculture, ainsi qu’un suivi continu des écosystèmes et de la faune sauvage. De plus, ces différents sites pilotes témoignent à la fois de la mosaïque des milieux de l’Argonne (milieux ouverts, fermés) et des zones d’interface entre activités humaines et milieux hôtes pour la tique. Ainsi, ces sites contrastés permettront d’analyser les pratiques qui ont favorisé l’émergence progressive des tiques et d’identifier actuellement les biotopes favorables aux tiques et la circulation des pathogènes. 

4) Contenu du projet, dispositif d'étude et actions prévues :

 Dans une approche socio-écosystémique, avec pour fil rouge les sciences participatives, notre équipe interdisciplinaire associe trois entrées complémentaires, non pas successives mais qui interagiront en permanence  :

1/ Pour l’approche en sciences médicales, nous allons combiner un travail de terrain entre scientifiques, professionnels de santé et acteurs du territoire pour collecter les données sur les tiques et maladies à tiques. À cet égard, l’UR 7290, associée au Centre national de référence (CNR) Lyme, à l’unité ESCAPE (Épidémiosurveillance de protozooses à transmission alimentaire et vectorielle) et au projet INRAE CiTIQUE, analysera les tiques par biologie moléculaire pour rechercher les pathogènes éventuels. Dans cette coopération, CiTIQUE fournira les tiques collectées lors de piqûres sur personnes et animaux, ESCAPE et UR 7290 collecteront les tiques sur la végétation sur site avec une détection de pathogènes, et le CNR Lyme apportera l’aspect médical en partageant les déclarations humaines de maladies à tiques dans la zone Argonne. Ces données seront complétées par les déclarations d’exposition humaine, grâce à la collaboration avec des acteurs de santé (pharmaciens, Mutualité Sociale Agricole (MSA) et Agence Régionale de Santé Grand Est). Par la complémentarité respective de leur expertise, cela permettra d’établir une cartographie des zones à risque de maladies à tiques.

2/ Pour l'approche de sciences sociales, comme les pathogènes transmis par les tiques circulent beaucoup dans les écosystèmes forestiers, une exploration de cet environnement est essentielle, tout en ayant un point de comparaison avec les espaces agricoles ouverts, qui ont aussi connu des évolutions (remembrement de parcelles, évolution des techniques culturales…). Nous mobiliserons un triple dispositif méthodologique :

  • D’abord, des observations sur site seront conduites en échange avec une diversité d’acteurs de terrain associés au projet, tels que les chasseurs, les forestiers, les agriculteurs et les associations et organismes en lien avec la nature (Fondation François Sommer, Fédérations départementales des Chasseurs, Argonne-PNR, CPIE Meuse… : voir notre billet sur le sujet).
  • Des entretiens sociologiques approfondis seront ensuite menés pour cerner aussi bien les pratiques et les représentations en jeu, susceptibles de varier d’un groupe professionnel ou social à un autre, en même temps que les « usages » de la nature, ou encore les évolutions de ces perceptions au fil du temps (« mémoire » des lieux). Nous veillerons à la co-construction des observations et du dispositif d’enquête et à la pluralité des savoirs, habitants et d’usage, en regard d’une expertise professionnelle parfois descendante. Ces entretiens pourront être individuels ou collectifs, selon les situations, afin d’approcher aussi bien des représentants de structures (qui peuvent devenir autant d’intermédiaires) qu’une pluralité des adhérents et habitants.
  • Enfin, des ateliers participatifs mettront en présence ces différents points de vue, souvent segmentés et qui ne sont pas nécessairement identiques en termes de constats ni de solutions envisagées. La fréquentation de terrain et le travail préalable de mises en relations réalisé autour de la ZARG rendront possibles de tels échanges. Il s’agit à la fois d’ouvrir des scènes de dialogue, y compris par la médiation scientifique, et de favoriser des transferts de connaissances via des acteurs-passeurs pouvant contribuer à une diffusion élargie des enjeux face à la zoonose. De tels transferts supposent de réaliser un état des pratiques en milieux forestier et agricole afin d’établir les facteurs de risques de maladies à tiques, faisant le lien entre objectifs scientifique et social.

3/ Ces objectifs ne peuvent être atteints sans intégrer la dimension spatio-temporelle des enjeux, en termes de professionnalité comme de perceptions territorialisées. Le dispositif d’enquête empirique en sciences sociales prendra en compte l’aspect dynamique et évolutif de la problématique dans les paroles recueillies et les réunions collectives

Crédit photographie : Nathalie Boulanger

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