Billet

La domestication vue par différents spécialistes

Publié le
02 décembre 2020
par elise.lachat
Mis à jour le
22 mars 2022
Communication scientifique
Le Musée zoologique de Strasbourg

Zoologistes, archéozoologues, généticiens, anthropologues…

Nombreux sont les spécialistes qui étudient la question de la domestication !

Tous sont d’accord sur le fait que le chien a été le premier animal domestiqué par l’Homme, il y a plus de 10 000 ans, à partir du loup gris.

Si tous s’accordent également à dire que la domestication a joué un rôle primordial, un basculement dans l’évolution des espèces et de la biodiversité, leurs discours à propos de ce processus ouvrent de nombreuses perspectives, en fonction de leur domaine de recherche privilégié.

Zoologie et archéozoologie

Commençons par nous intéresser au zoologiste, qui étudie les animaux, leurs organismes et leurs modes de vie. Du fait de son domaine d’expertise, il s’attardera moins sur les objectifs et les raisons de la domestication, mais plutôt sur les modifications morphologiques et comportementales présentes chez les populations animales domestiquées. Ce sont les zoologistes qui ont posé les bases les plus communément admises au sujet de la domestication. Elles consistent à considérer un animal comme étant domestique, du moment que l’animal entretient des relations de familiarité avec l’Homme, que l’Homme contrôle la reproduction de l’animal et qu’il pratique une sélection en vue d’« améliorer » cette population d’animaux, selon ses propres besoins. Dans cette première approche, la domestication des animaux a donc essentiellement un aspect utilitaire.

Pour observer les effets de la domestication ancienne sur les animaux, un second spécialiste entre en scène : c’est l’archéozoologue. Comme son collègue archéologue, il se penche sur les civilisations anciennes pour mieux comprendre nos sociétés actuelles, et fouille le sol dans ce but, à la recherche de traces du passé. L’archéozoologue a cette spécificité qu’il s’intéresse aux ossements et restes animaux, retrouvés sur les chantiers de fouille. Grâce à ses observations sur l’évolution des caractéristiques de ces os, de leur longueur notamment, il est possible de mettre des mots sur les effets de la domestication, au niveau de la morphologie des animaux. Les travaux de l’archéozoologue permettent également d’émettre des hypothèses sur les dates ainsi que sur les foyers, souvent multiples, des différentes domestications.

--> Pour en savoir plus sur le métier d'archéozoologue, c'est par ici sur le site de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives : https://www.inrap.fr/l-archeozoologue-10801

Les apports de l'anthropologie

Qu’en est-il de l’approche de l’anthropologue, ce chercheur qui étudie plus spécifiquement les êtres humains, leurs cultures et leurs sociétés ? Son approche vient compléter la vision la plus courante de la domestication. À l’inverse du zoologiste, il s’intéresse plutôt à la forme particulière d’interaction Homme/animal que représente la domestication, et au projet que l’Homme a sur l’animal, ou non, à travers ce processus. Ses travaux nous font réfléchir sur les modifications liées à la domestication dans nos propres modes de vie. Si à travers le dressage par exemple, un maître interagit avec son chien, vous conviendrez aisément si vous possédez un animal de compagnie que ceux-ci exercent sur nous un certain pouvoir d’attraction en retour. L’ethnologue André-Georges Haudricourt allait même jusqu’à parler de rapports amicaux. Ainsi pour beaucoup d’anthropologues, il est réducteur de concevoir la domestication comme une action unilatérale, autrement dit par laquelle l’Homme chercherait seul à se rapprocher d’une espèce animale et à l’exploiter.

--> Pour en savoir plus sur le métier d'anthropologue, c'est par ici sur le site de l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives : https://www.inrap.fr/l-anthropologue-10790

Pour illustrer ces idées, intéressons-nous aux travaux de l’anthropologue et spécialiste de la domestication Jean-Pierre Digard. Selon lui, l’être humain a avant tout cherché à assouvir deux besoins à travers les premières domestications de l’Histoire : d’une part sa curiosité naturelle, qui l’a poussé à relever des défis et à vouloir s’approcher d’animaux sauvages ; et son besoin de dominer la nature et les êtres vivants, d’autre part. Ainsi pour l’anthropologue, l’idée d’exploiter les animaux pour leurs services ou pour leurs produits n’a pas été le premier objectif de la domestication : ce projet n’est né que plus tard. Pour appuyer ses propos, il souligne que les premiers éleveurs, s’ils possédaient un troupeau d’animaux en captivité, continuaient majoritairement à se nourrir de la chasse : pourquoi dans ce cas posséder un stock d’animaux ? L’une des explications avancée par Jean-Pierre Digard comme par de nombreux spécialistes est le besoin d’animaux pour les sacrifices, chez les civilisations anciennes. La domestication accompagnait dans ce cas des pratiques culturelles, plutôt qu’utilitaires. Un autre exemple est celui du cheval : des études ont montré que les premiers chevaux domestiqués n’ont été dans un premier temps ni montés, ni utilisés pour des travaux de force. Pourquoi alors avoir voulu se rapprocher du cheval, si ce n’est par goût du défi ?

Une simple opposition entre sauvage et domestique ?

Lorsqu’on s’intéresse à la domestication, il faut ainsi garder à l’esprit que derrière ce processus, il existe un degré de familiarité entre l’Homme et l’animal, mais aussi un degré d’intention dans le rapprochement vis-à-vis d’un animal sauvage. D’ailleurs, dans un précédent contenu nous nous interrogions sur l’opposition entre animal sauvage et animal domestique, qui se cache derrière l’idée de domestication. Selon l’agronome et historien François Sigaut, cette opposition est trop réductrice pour classer les animaux en fonction de leurs rapports à l’Homme. Le chercheur suggère plutôt de classer les populations animales en considérant trois critères, qui sont l’appropriation, l’apprivoisement et l’utilisation. Plusieurs critères peuvent se rapporter à un même animal : ainsi, pour revenir à nos animaux de compagnie, l’Homme se les est appropriés, les a apprivoisé, mais ne les utilise pas pour les travaux ou pour son alimentation par exemple. Dans cette classification, il serait sûrement plus simple de trouver une place à l’escargot ou à l’huître, que nous évoquions dans un précédent contenu ! À défaut de pouvoir les qualifier de domestiques, tous deux sont bel et bien appropriés et utilisés par l’Homme : en revanche, avez-vous déjà tenté d’apprivoiser un escargot ? D’ailleurs pour en savoir plus au sujet de l’apprivoisement, rendez-vous au contenu du même nom !

Tous ces débats scientifiques illustrent bien à quel point la domestication reste une question ouverte, dont les contours ne peuvent pas être définitivement tranchés. Sachez néanmoins que le statut d’animal domestique est reconnu par le droit français, à travers le Code rural et le Code de l’environnement, et que le législateur possède ainsi sa propre définition de ce qu’est un animal domestique.


Sources :

Bernard Denis, « La domestication : un concept devenu pluriel », INRA Productions Animales, juillet 2004.

Jean-Pierre Digard, « La domestication animale revisitée par l’anthropologie », Ethnozootechnie, 2003.

André-Georges Haudricourt, « Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d’autrui », L’Homme, 1962.

François Sigaut, « Critique de la notion de domestication », L’Homme, 1988.

Jean-Denis Vigne, « Entrée en familiarité : la domestication » et « Du loup au chien », Conférences du Muséum National d’Histoire Naturelle dans le cadre du cycle « 15 000 ans d’interactions entre l’Homme et l’animal », novembre 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=5o1JZ5wo_Qs&t=358s et https://www.youtube.com/watch?v=uQLFY4Z5g4s&t=75s


Ce contenu fait partie du dossier-glossaire intitulé "la domestication en questions".

N'hésitez pas consulter également le dossier "Entre chien et loup, regards sur la domestication".

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