Marronnage
Selon l’anthropologue Jean-Pierre Digard,
Aucune espèce animale ne peut être considérée comme totalement et définitivement domestiquée.
Le chercheur conçoit la domestication comme une action continue, qui nécessite d’être entretenue et renouvelée chaque jour par l’Homme. Le cas échéant, certaines populations animales peuvent retourner à l’état sauvage, partiellement ou totalement. C’est précisément ce retour de l’animal domestique à une vie plus sauvage, après avoir été relâché, abandonné ou s’être échappé, que l’on qualifie de marronnage. On parle dans ce cas d’un animal marron, non pas pour sa couleur bien sûr, mais du fait de son statut retrouvé d’animal sauvage. Pour la petite histoire, ce terme est emprunté au champ lexical qui se rapporte à l’esclavage : le marronnage signifiait alors la fuite d’un esclave pour échapper à sa condition.
Les animaux marrons n’ont plus besoin d’intervention humaine directe pour survivre, ils subviennent eux-mêmes à leurs besoins alimentaires et se reproduisent naturellement. Selon leur faculté à trouver de la nourriture, certaines espèces issues du marronnage peuvent rester commensales (voir « Commensalisme ») de l’Homme, en demeurant à proximité des zones fréquentées par ce dernier. Ainsi comme le souligne l’historienne des sciences Valérie Chansigaud, cette idée de retour à l’état sauvage par le marronnage est à nuancer : pour beaucoup d’animaux pleinement domestiqués comme le chien, la chèvre ou encore le cheval, il s’agit plutôt d’un retour à une vie libre et autonome. Pour autant, les caractéristiques acquises par ces animaux domestiques à travers la sélection exercée par l’être humain ne disparaissent pas subitement, suite au marronnage. Il en va de même pour les transformations morphologiques et comportementales.
--> Lien vers un podcast audio dans lequel intervient Valérie Chansigaud : https://www.franceinter.fr/emissions/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-04-novembre-2020
L'exemple du dingo, entre chien et loup ?
Illustrons ces propos avec l’exemple de notre loup et de son descendant le chien : un chien qui serait abandonné par son maître ne va pas pour autant redevenir un loup ! Ainsi les chiens errants, s’ils ont retrouvé une vie autonome, restent bien souvent commensaux de l’Homme et proches des zones urbaines ou rurales. Pour aboutir à l’apparition d’une sous-espèce réellement sauvage, le marronnage doit être bien plus ancien. C’est ainsi l’hypothèse d’une large population de chiens revenus il y a longtemps à l’état sauvage qui est privilégiée, pour expliquer l’existence entre chien et loup du dingo, ce chien sauvage d’Australie. Cet exemple appuie l’idée selon laquelle un réel retour en arrière, jusqu’aux caractéristiques d’origine, semble impossible, même au bout de plusieurs générations. Si les populations issues du marronnage ne redeviennent pas l’espèce sauvage dont elles descendent, elles développent des caractéristiques que l’on ne retrouve pas chez leurs congénères domestiques : elles constituent ainsi un réservoir génétique intéressant pour les scientifiques !
Notons enfin que certaines espèces sont plus prédisposées au marronnage que d’autres : c’est le cas du cheval ou de la chèvre par exemple, qui seront plus aptes à retourner à la vie sauvage malgré leur statut domestique. Les facteurs qui favorisent ce marronnage sont avant tout environnementaux et biologique, ainsi que le degré de liberté dont dispose initialement l’animal domestique. Mais attention, certaines espèces sont tout simplement incapables de marronner ! C’est le cas du canari domestique ou du ver à soie : ils ont été tellement transformés et adaptés à leur vie en cage ou en élevage, que ces deux espèces ont perdu toute capacité à survivre libres dans la nature !
Sources :
Jean-Denis Vigne, Jean-Pierre Digard et Catherine Chauveau, « Domestication ou l’attrait réciproque entre hommes et animaux », Archéopages, octobre 2012.
Ce contenu fait partie du dossier-glossaire intitulé "la domestication en questions".
N'hésitez pas consulter également le dossier "Entre chien et loup, regards sur la domestication".
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